“ETP”
Gallerie sauvage, Pantin.
2016


Entretien avec Romain Semeteys
FONDATEUR de "Lechassis".

C’est en plein mois d’août, sous une chaleur plombante propre à la capitale que j’a rendez-vous avec Tomek, dans un hangar d’une zone industrielle du 93…

Pour quelques jours, l’artiste investit ce grand espace sans activités pour une exposition éphémère et bien sûr sans aucune autorisation.


La genèse du projet est partie de quelque chose d’assez simple.

J’ai découvert au cœur du 93, dans une zone industrielle de la banlieue de Pantin, un ancien hangar de décor. Vide de toutes activités l’espace immense m’offrait une configuration d’accrochage assez parfaite : de grandes surfaces de murs blancs avec beaucoup de recul, et une hauteur sous plafond incroyable.

Par hasard et par chance, j’ai tiré des rebuts de l’entrepôt une série de dix châssis en bois de 2m50 de large, une dizaine de plaques de verre, et un rouleau d’isolant phonique pour chantier.
J’ai alors décidé d’utiliser les éléments offerts par le lieu et c’est de cette première contrainte qu’est né le projet.


Tu présentes plusieurs propositions in-situ dans ce lieu : des toiles grands formats, des fresques ainsi que des pièces au sol. Quelle démarche as-tu voulu mettre en avant ici ?

L’essence première de ce projet a été l’incertitude. La porte du hangar était fracturée, elle était donc difficilement condamnable, n’importe qui pouvait s’y introduire comme moi, à n’importe quel moment.
Dans la continuité de ma pratique du graffiti en extérieur, j’ai été contraint par le temps.
De fait, dans ces circonstances, j’ai pu retranscrire l’énergie, la tension qui émerge du graffiti illégal, dans un espace presque conventionnel aux allures de galerie.

J’ai alors réalisé une série de peintures, et fait une installation à partir des plaques de verres trouvées, que j’ai peintes, puis retournées au sol. Ce processus de travail et de création, montre également ce que la peinture permet de produire en un temps limité.
En cinq jours j’ai imaginé l’exposition, réalisé les peintures et organisé l’accrochage, jusqu’à ce que le propriétaire me trouve, et me demande de quitter les lieux, fissa.

Pour presque rien, au seul prix d’un certain culot, j’ai monté une exposition sous-marine, partagé mon travail avec mes proches, dans un univers spatio-temporel inhabituel, à la fois illégal, en marge, et privilégié; baignant dans un espace incroyable, normalement inaccessible, faute d’en avoir les moyens.

Forcément, ce type d’évènement fait écho à notre société ; à ses règles contraignantes, exclusives, ou à ceux qui ne touchent pas le bon jeu, ne peuvent accéder à certaines choses. Fort heureusement, il est toujours possible d’enfreindre les lois, de déjouer les règles, et de dérober le sésame afin de parvenir à nos fins.

Parles nous du titre de cette exposition « Expressiv Tag Painting ». Est-ce une manière pour toi de faire rentrer l’acte du tag dans une certaine continuité de l’histoire de l’art ? (expressionnisme abstrait par exemple).

« Expressiv tag Painting » est une exagération des codes et des repères visuels que représente le graff aujourd’hui. A savoir des lettres ultra esthétisées accompagnées de bulles et « goodies » graphiques en tout genre à l’aide de nouveaux outils conçus spécialement pour cette forme de création.
C’est un coup contre cette imagerie aseptisée du street-art ou du soit disant graffiti sur toiles que l’on peut voir actuellement.

L’idée c’est de peindre des graffitis en jouant des références et des modes de représentations tirés de la peinture moderne; essentiellement expressionniste abstraite comme De kooning ou Joan mitchell…

J’aime l’idée de réadapter des méthodes de peinture d’une certaine époque à travers une pratique plus contemporaine, à savoir le graffiti.

Dans cette série de toiles, tout commence à partir de lettres qui se construisent par de violentes ébauches sur la toile et que l’on peu considérer en quelques sortes comme des sujets figuratifs ( lettres / sigles ), jusqu’à leur abstraction presque totale.

J’ai tenu à garder un aspect très brut dans ces peintures avec une expressivité qui soit nettement reconnaissable et une idée d’inachevé omniprésente.
L’abstraction indique dans ce type de peinture un point de départ, une nouvelle représentation de ma réalité du graffiti; ainsi dans l’absence de lettre identifiable ou de références lisibles résulte une peinture qu’on pourrait qualifier d’abstraite.

Le tout visant à faire émerger des sensations et des impressions indépendantes des références visuelles plastiques que propose le graffiti d’aujourd’hui en général.
De fait, celui-ci a été accepté, puis digéré pour être enfin institutionnalisé en intégrant le monde de l’art. Il semble alors nécessaire de se réapproprier ce mouvement, de sans cesse le remettre en question, et de tenter d’en parler différemment, de le faire avancer.

J’aime beaucoup l’idée de proposer autre chose que du « graff sur toile » comme ça se fait beaucoup actuellement (souvent de mauvais goût décoratif). On voit tout de suite que ton travail va au delà, propose autre chose. Tu as un message à faire passer sur cette mode ?

Finalement tu vois c’est une forme de graff sur toile, ( rires )
Alors après tout c’est est une question de propos derrière l’image, derrières ces travaux se cache une volonté d’appuyer un regard en opposition face à une marchandisation aseptisante d’un mouvement artistique riche à savoir le graffiti. J’imagine que certains y verront objectivement du graffiti et d’autres pas du tout. Pour le reste, si message il y a, il faudrait le trouver dans les tableaux.